jeudi 24 février 2011

Fêlure mentale

-C'est grave, docteur?

-Je ne sais pas. Racontez-moi.

-Il y a quelques années, tout allait bien. Je me contentais d'une à la fois. Je m'introduisais en elle, prenais du bon temps, et me retirais jusqu'à la fois suivante. Ce n'était pas plus compliqué que ça. Je ne ressentais pas de désir pour d'autres. Puis, le temps et l'usure faisant leur oeuvre (généralement au bout d'un an, un an et demie), il fallait passer à une autre.

-Et qu'est-ce que ça vous faisait?

-Pour être bien honnête, je voyais ça comme une corvée. Le changement, je veux dire. J'aurais bien continué avec la même, mais les choses n'étaient plus comme avant, et je me devais de protéger ma santé.

-C'était si pire que cela?

-Non, mais je sentais que ça aurait pu le devenir. Quelque chose avait changé. Je n'avais plus droit à ses faveurs. Et lorsque je m'acoquinais avec une nouvelle (toujours de la même famille), la différence me sautait au visage, heu, dans les pieds.

-Comment ça, dans les pieds?

-Qu'importe. Toujours est-il que ça a continué comme ça pendant quelque années. Jusqu'à ce que je finisse par prendre conscience qu'elles étaient toutes pareilles. De vraies Germaines!

-Qui, ça?

-Mais est-ce que vous m'écoutez? Les membres de cette famille japonaise, que diable! Dans le fond, elles étaient toutes pareilles, que je vous dis! Cumulus, Kayano, GT, peu importe, mes pieds ne pouvaient prendre le leur. Ils étaient contraints, prisonniers.

-Oh, je crois que je commence à comprendre.

-Il était temps, c'est pour ça que je vous paie!

-Passons. Continuez.

-C'est lorsque j'ai fait la rencontre de cette exquise paire américaine que j'ai pris conscience que ma relation avec les membres de cette famille avait assez duré. En quelques minutes l'après-midi du 28 août dernier, j'ai su que je pourrais enfin être moi-même avec l'Américaine. Je me sentais léger, libre. Et j'ai compris que les choses pouvaient changer, que je n'avais pas à toujours avoir mal et saigner. J'ai donc entrepris une relation en douce avec une des jumelles de l'Américaine, venue directement des États-Unis. Je la trouve tout simplement exquise. Elle a des semelles bleu fif. En passant, je n'ai rien contre les homosexuels, mais c'est juste que les mots «bleu fif» me viennent invariablement en tête quand je m'attarde à la couleur.

-Je comprends, vous n'avez pas à vous justifier. Et puis, nous sommes entre nous. Ce qui se dit dans ce bureau reste dans ce bureau.

-Vous êtes compréhensif.

-C'est mon travail de faire preuve de neutralité bienveillante. Comment les choses ont-elles évolué ensuite?

-Nous nous sommes envoyés en l'air à de multiples reprises: je ne compte plus les fois où nous avons grimpé le sommet principal du mont Royal, sans parler de la colline Westmount. Il n'y a que le sommet Outremont que nous n'ayons pas encore baptisé! Toujours est-il que je me suis épanoui en sa compagnie.

-Quel est le problème, alors?

-Hé bien, elle vieillit.

-Vous aussi!

-Vous savez très bien que ce n'est pas pareil! J'aime son teint foncé et ses rides, qui sont une manifestation tangible, un rappel du vécu que nous avons partagé et que nous partageons encore. Mais elle est usée, elle rechigne maintenant à faire des sports d'hiver. J'avais toutefois prévu le coup: je me suis assuré de faire venir deux de ses soeurs des États-Unis. Je n'ai pas encore eu de véritable contact avec l'orange, mais je fraye régulièrement avec la verte depuis quelques mois. C'est avec elle que je batifole dans la neige. Le fait qu'elle soit plus... verte, mois usée, l'aide à avoir prise sur ces conditions. Mais j'ai hâte de voir apparaître des rides sur son enveloppe. J'ai hâte qu'elle ait l'air usée!

-Bon. Il semble que vous ayez trouvé un modus operandi qui satisfait tout le monde, heu, qui vous satisfait.

-Oui, mais le problème, c'est que je suis maintenant à couteaux tirés avec cette famille, et que tôt ou tard l'usure du temps fera son oeuvre. Que ferai-je alors? Je devrai bien regarder ailleurs. En fait, j'ai déjà commencé à chercher, et je pense avoir trouvé celle qui fera battre mon coeur tout en m'apportant légèreté, confort et talons bas à prix raisonnable.

-Ah, des talons bas. Vous n'aimez pas porter des chaussures à talons haut, du genre talons aiguille, même en cachette?

-Non, pourquoi?

-Ce que vous pouvez être drabe...

-C'est pas vous qui parliez de neutralité bienveillante tout à l'heure?

-Oui... heu, je... heu, c'est malheureusement tout le temps que nous avons pour aujourd'hui!

-Mais vous n'avez pas répondu à ma question: devrais-je passer à l'action pour cette nouvelle paire? Est-ce trop tôt? Suis-je normal de déjà penser à sauter la clôture?

-Avez-vous déjà vu vos parents nu-pieds?

-Heuuuu, ça doit. Quel est le rapport?

-Je suis d'avis que votre indécision et votre propension à regarder ailleurs viennent d'un complexe podolo-oedipien refoulé, mêlé d'une angoisse de castration. Vous devriez écrire là-dessus pour mettre un peu d'ordre dans vos idées.

-Écrire? Pfffffft, ce serait bien trop long et inutile! À la semaine prochaine.

-À la semaine prochaine.

Une fois seul, le psy pousse un long soupir.
-Hostie de mongol.

3 commentaires:

  1. Héhé, du vrai délire pepérien! ;-) Tu as vraiment dû te bidonner en écrivant ce texte, surtout au début où je me demandais vraiment ce que tu racontais. Excellent angle pour aborder tes "conquêtes amoureuses" et pour nous dire à quel point tu prenais ton pied avec elles! ;-)

    Bref, si tu veux mon avis, achète cette nouvelle paire et tu verras si elles te plaisent davantage. Allez, assumes tes fantasmes! ;-)

    En passant, j'ai déjà reçu mes Asics GT-2150 commandé sur 33-off.com. Ça n'a pris que 2 petits jours! Vraiment efficace comme service.

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  2. Totalement délirant!!! Que ça débute bien une journée de lire un billet si brillant en rigolant autant!!!!! Je dis comme Mathieu, fonce! La pire chose qui puisse arriver c'est que tu sois déçu, et entre nous, ce n'est pas une catastrophe nationale. Et au mieux, tu seras agréablement surpris!!!! Farce à part, ton texte si habilement génial alimente bien ma réflexion sur le choix de ma nouvelle paire de running. Je n'ai pas encore lu le texte que tu m'as recommandé mais je fais ça dès aujourd,hui!!! Bonne journée!!!

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  3. Pour ce Xième billet sur les chaussures de course, j'avais le goût d'y aller d'une façon différente, un peu (beaucoup) disjonctée. Bien content que vous ayez apprécié!

    Mathieu: Wow, c'est rapide comme service. Dommage qu'ils n'aient pas plus de marques...

    Claire: Hier je suis tombé sur un autre texte qui pourrait alimenter ta réflexion. Un ultramathonien y raconte comment il est venu à bout de sa fasciite plantaire. Je n'ai lu le texte qu'en diagonale, mais j'ai vu qu'il conseille d'utiliser des chaussures qui supportent le pied (donc plus lourdes et contraignantes) pendant la guérison. Remarque que dans les commentaires, certains mentionnent avoir utilisé l'approche tout à fait opposée (donner une chance aux muscles et tendons des tibias et des pieds de se renforcer en portant des chaussures minimalistes), et que ça a très bien fonctionné aussi. Bref, il semble qu'il n'y ait pas de solution simple qui s'applique à tout le monde, et la prudence est de mise si tu décide d'y aller avec des chaussures plus minimalistes.

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